Ce que j’ai appris en allant discuter avec une prostituée

J’y vais ou pas ?

12h29. Arrêtée au feu rouge, au volant de ma voiture, une question me taraude l’esprit (enfin plusieurs) : « Seriously ? T’es vraiment sortie de chez toi pour ça ? T’as rien d’autre à faire de tes vacances, franchement ? Tu peux pas discuter avec d’autres gens ? (sous-entendu : des gens « normaux » quoi) » Déjà, le feu passe au vert. Je n’ai pas l’intention de faire demi-tour. Laissant de côté cette voix qui ne sait que manifester son désaccord, je repense à ce qui m’a fait me décider à quitter mon coin douillet pour une raison qui ne satisferait pas le commun des mortels.


D’où m’est venue cette idée ?

Cela fait maintenant un an que j’emprunte cette route quasi-quotidiennement. C’est une voie rapide. 90 km/h en moyenne. Alors pour s’arrêter sur l’un des emplacements de stationnement qui longent cette voie, faut vraiment avoir un souci. Cette route, je l’emprunte, du lundi au vendredi. Et tout le temps, elles sont là. Uniquement en plein jour, mais été comme hiver, assises ou debout, cet emplacement de stationnement est le leur. Alors les premiers jours, je ne comprends pas trop. Elles sont debout ; je me dis qu’elles attendent peut-être un taxi. Assises sur une chaise ou un tronc d’arbre coupé, je commence à trouver cela suspect. Les jours passent et elles sont toujours là. L’hiver, emmitouflées dans leur doudoune. Au retour du soleil, les jambes se dénudent. Hmm… OK. Je pense que je l’avais compris bien avant cela : elles se prostituent. Et tout le monde s’en fout.


Pourquoi..?

Cela me dépasse. Et comme face à tout ce qui me dépasse, je me pose plein de questions. Ce n’est plus moi qui pense ou qui parle : c’est mon insatiable curiosité. La même qui pousse un gamin à se demander pourquoi le ciel est bleu, pourquoi les arbres sont verts ou pourquoi les fleurs sont jolies. Sauf que moi, je me demande : Pourquoi les femmes se prostituent. Et ça, c’est nettement moins mignon. Peut-être que dans ce genre de situation, le plus logique serait de demander à Google et de se taper une émission type Enquête exclusive pour en apprendre plus sur le « monde de la nuit ». Ce doux monde où sexe, trafic de drogue et autres joyeusetés se mêlent dans la plus grande normalité. Mais ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas le grand public. J’aimerais aller demander aux principales intéressées. Parce que pourquoi pas. En plus, elles sont là, « disponibles », donc pourquoi ne pas leur demander directement ? 


De la difficulté d’entamer la discussion

Et j’ai réalisé qu’il y avait déjà un blocage à ce niveau-là. Avant même de pouvoir discuter de leur vie, le seul fait d’oser s’approcher d’elles ne serait-ce que pour parler dix minutes me semble déjà anormal. Pourquoi ce ressenti ? A l’heure où j’écris ces lignes, je ne trouve plus cela si choquant alors j’essaie de me remémorer ce qui a pu me freiner. « C’est parce que, tu comprends, ce sont quand même des femmes qui échangent leur corps contre de l’argent ! C’est malsain. C’est malpropre. Ohhh c’est une pute ! beurk ! Tu te rends pas compte ! Coucher avec des gens que tu ne connais pas. Quelle idée ! Quelle horreur ! C’est saaaaale. Pourquoi irais-je parler à ces gens-là ? Je ne fais pas ce genre de choses, Mouuua. Si saint(e), si pur(e).» Hmmm qu’il est beau l’imaginaire collectif. C’est à croire que nous autres passons notre vie à nager dans un bénitier. Saleté d’hypocrisie ! Ce ne sont pas les choix de ces femmes qui sont le plus à plaindre, c’est notre regard dégoulinant de jugement, encrassé par notre complexe de supériorité.


Ce que nous pouvons apprendre

Ceci n’est pas un plaidoyer en faveur de la prostitution. Non, non et re-non. En revanche, ce que je ne comprends plus c’est ce côté « Oh non, mouuua, je ne côtois pas ce type de personne parce que je ne veux pas me salir. » ça marche aussi pour les SDF, les mendiants ou tout autre type de personne qui ne correspond pas à la définition de l’individu lambda. Suis en train de dire qu’il faudrait sur-le-champ se lever et aller distribuer des câlins/bisous/euros à toutes ces personnes ? Clairement, non ; mais vous faites ce que vous voulez. En revanche, il serait bon que chacun soit conscient du rapport qu’il entretient vis-à-vis de tout être humain. 

Et si l’envie te prend de « jeter la première pierre », peut-être que tu n’es pas encore conscient(e) que ce que tu es n’a guère plus de valeur que cette personne que tu méprises aveuglément.

#HumainAvantTout

With LauuV’… (et ce n’est que le début)

PS : Y’aurait surement autre chose à raconter au sujet de ce court entretien, mais cela fera peut-être l’objet d’un autre article. Je verrai. Si vous avez des remarques ou des questions, vous pouvez les poser en dessous. Merci de m’avoir lue.


Version audio

 

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